Le rythme est la signature du Vivant dans son aspect matérialisé, visible ou dans ses facettes plus subtiles, mais toujours perceptibles à travers nos sens. Nos sens étant des filtres à travers lesquels nous percevons le monde.
Le rythme est intrinsèque à ce que nous appelons la vie, à tel point que l’on définit » la mort » par une absence des bio rythmes. Une définition qui prête à réfléchir … définir une chose par l’absence d’autre chose. Il y a un problème de logique. La mort serait l’absence de vie . La mort serait l’absence de rythmes, de tonicité du corps … En fait on définit souvent la mort (d’une personne) par l’absence de ses qualités vitales habituelles. Mais on confonds ici, la vie et la manifestation de la Vie, du Vivant ( d’autres l’appelleront Dieu, Grand Esprit …). L’absence de vie ( on ne sait pas définir » positivement » les qualités de la mort dans ce paradigme) serait un signe de la mort. L’absence poserait elle une empreinte quelque part ? Non … il s’agirait d’une non empreinte… Il y a un bug quelque part dans cette logique. Il y aurait les manifestations de la vie et puis … plus rien de qualifiable, quantifiable, fiable à nos sens et à notre conscience ordinaire.
Il y a selon nos appareils de mesure (formatés selon notre intelligence et sont ainsi une extension de nos sens et conscience), des rythmes courts , « extrêmement » courts, brefs : la vibration d’un quartz par exemple ; d’autres « extrêmement » longs correspondent au rythme d’apparition d’une comète dans notre ciel avec des cycles de plusieurs centaines d’années. Ce qui est très « court » par rapport au temps que mets la lumière d’autres galaxies à nous parvenir (qui se mesure en années lumière, la lumière parcourant 300 000 km par seconde selon nos scientifiques). Le court se mesure en hertz et le long en années lumières.
Si je découpe le plus petit des rythmes courts en séquences encore plus courtes, et que je répète encore cette opération, je tends vers « 0 » si on conserve le référentiel de départ. Lorsque je tente de me le représenter, ma conscience finit par basculer ; je parviens au bout d’une logique et bascule dans une conscience non consciente. Au bout du souffle du rythme que je peux compter ou imaginer, le grand Souffle me prends, me traverse ( ce qu’il fait de toutes façons ), happe ma conscience … ma conscience s’y fonds … et je me trouve dans une conscience où rythme et non rythme n’ont pas d’existence, sont « hors de propos ». Peut être suis je dans une conscience de ce que l’on nomme le » Tout » ? » Je suis » alors assemblé en un point et en même temps dissout dans l’inexistence de l’être habituel.
De même si je tente de me représenter des « distances » ou des rythmes de plus en plus longs, des cycles de p l u s e n p l u s e s p a c é s,
mon attention va se modifier, tentant au début de maintenir une cohérence. Puis cette cohérence s’échappe, une fuite se produit et mon esprit ordinaire peut basculer également. En terme de temporalité, ma conscience peut passer de chronos ( Χρόνος / Khrónos ) au kairos (καιρός).
Ainsi j’atteins que ce soit en » découpant » très petit ou en « élargissant » et étendant toujours et encore une tranche de temps, j’atteins donc un point de basculement, le kairos. C’est une opportunité : un peu avant, ce n’est pas le moment, un peu après c’est trop tard.
Le kairos, une dimension du temps n’ayant rien à voir avec la notion linéaire de chronos (temps physique), pourrait être considéré comme une autre dimension du temps créant de la profondeur dans l’instant. Une porte sur une autre perception de l’univers, de l’événement, de soi. Une notion immatérielle du temps mesurée non pas par la montre, mais par le ressenti.
Le dieu grec Kairos est représenté par un jeune homme qui ne porte qu’une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre proximité, il y a trois possibilités :
-
on ne le voit pas ;
-
on le voit et on ne fait rien ;
-
au moment où il passe, on tend la main, on « saisit l’occasion aux cheveux » (en grec ancien καιρὸν ἁρπάζειν) et on saisit ainsi l’opportunité.
Donc, reprenons notre propos du début ; la perception de différents rythmes de la vie et le décret de la définition de la mort par une absence de signes de vie. Ma conscience est happée à un moment par le vertige de l’absurde, prise par kairos, et engloutie dans le Souffle du Vivant. Et là, je m’aperçois qu’au delà des concepts et des manifestations à travers mes sens et consciences ( nos consciences sensorielles et mentales), « je » passe de l’autre côté du décret, franchissant le passage du décret au secret, révélant une part du mystère. » Je m’aperçois » est alors un miroir révélant une faille dans le miroir. Et dans cette transe, « je suis » est happé dans cette conscience du Vivant. J’ai cette opportunité de saisir et d’être saisi simultanément en ce point de bascule.
Il y a bien d’autres façons de vivre les rythmes, dans nos corps, nos cellules, nos souffles, notre coeur, nos gestes, nos musiques, nos chants : bien menés, entrant en transe consciente, nous parvenons à une conscience aîgue, précise, affinée, et en même temps large, spacieuse … nous franchissons l’espace habituel de nos repères, pour pénétrer et être pénétré par le Souffle de Vie. C’est par cette alliance du corps et de l’esprit -êtres incarnés nous sommes – que nous passons ainsi d’une conscience ( ou plutôt d’une inconscience) duelle à une « vision » non séparée. La Vie est la Vie. Nous en sommes un atome et le Tout.
Les voies traditionnelles ( cf article précédent) nous font passer chacune avec leurs moyens habiles ce point de basculement, de dévoilement, que ce soit les voies soufies, rouges, chamaniques, taoistes, chrétiennes. Dans toutes ces voies, si l’on en passe plus ou moins par le corps, c’est l’Esprit qui est le maître. Ici, c’est l’Art du Rêveur, là c’est celui du Danseur, là encore c’est l’Art du Moine méditant, là c’est celui du pratiquant d’un Art Martial, ou l’Art du Poète , celui du Cuisinier, du Forgeron …
Je n’ai à travers ce bref article que l’envie de chercher, avec toi, en moi et en Tout.
Alain Désir 16 Juillet 2017